● ALPHABET D’UN ARCHITECTE ●
N comme noctambul(l)e.
L’architecte est-il un oiseau de nuit ? Doit-on fermer les yeux sur une pratique ancienne qui idéalise le fait de ne pas fermer l’œil de la nuit ?
Il est ici question de la fameuse « charrette ».
Héritée des Beaux-Arts, la charrette a sévi au début du XIXème siècle, à l’époque où les étudiants en architecture travaillaient intensément jour et nuit et achevaient leurs maquettes et panneaux directement sur la charrette qu’ils tractaient jusqu’au lieu d’enregistrement de leurs rendus, souvent le vendredi avant midi dernier délai, où ils allaient ensuite être exposés et jugés.
Symbole romancé et idéalisé de la création artistique nocturne, le terme de « charrette » a peu à peu évolué pour désigner la phase de rush éprouvante qui précède un rendu.
Si le métier fait rêver, cette pratique, qui hante encore beaucoup d’écoles et d’agences, laisse songeur.
Se laisser bercer par quelques charrettes dans sa vie peut faire partie du parcours initiatique qui laisse de bons souvenirs de camaraderies et de cohésion d’équipe.
Mais elles ne sont pas non plus un rite obligatoire. Quand nuits blanches et journées noires virent au cauchemar et obscurcissent l’état de santé, cela signifie qu’il est temps de se réveiller. Pour ne pas se retrouver dans de beaux draps, voire cloué au lit, il est urgent de s’envelopper dans le douillet duvet de l’organisation.
Un bon planning est la meilleure des verveines pour dormir sur ses deux oreilles.
Il n’est pas paradoxal d’être créatif et organisé. Il est essentiel de ritualiser les levers et couchers avec son équipe pour avoir à conter l’histoire du projet.
En revanche, il est impensable de se reposer sur ses lauriers. Tout roupillon ou non-respect de la montre peut être préjudiciable à l’ensemble de l’équipe. D’où l’expression à propos « comme on fait son lit on se couche ». Car il ne faut pas se raconter des histoires à dormir debout, la défaillance de l’un peut coûter cher à tous. Rendre un concours mobilise une équipe tout entière. Personne ne peut tirer la couverture à soi. En revanche, certains peuvent en pâtir : l’équipe, le maître d’ouvrage si le concours n’est pas rendu dans les temps et à la hauteur de ses espérances, sans oublier le bureau d’études, le paysagiste, le perspectiviste et l’imprimeur qui œuvrent également dans l’ombre des projets et qui sont loin d’être la cinquième roue du carrosse (ou de la charrette).
Profitons de l’été pour dormir à la belle étoile, regarder les étoiles filantes et faire un vœu. Celui de continuer à travailler sur des projets qui font rêver.